La porte du ciel by Kittredge William

La porte du ciel by Kittredge William

Auteur:Kittredge, William [Kittredge, William]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Autobiographie
Éditeur: Albin Michel
Publié: 1992-04-02T22:00:00+00:00


Au début de l’été 1954, ma fille était bébé, et ma femme et moi avions tous les deux vingt et un ans, nous habitions au deuxième étage d’une vieille maison juste après la Dix-Septième Rue en partant de City Park à Denver. Dans la chaleur de l’après-midi, nous nous installions dehors dans une véranda fermée avec des stores – perchés, comme si nous nous tenions dans une maison secrète au milieu des arbres, avec les feuilles autour de nous et les oiseaux dans leurs nids. Peu après, des orages se formaient au-dessus des Rocheuses, la lumière devenait jaune vert quand ils descendaient sur nous, poussés par des rafales de vent, et une grosse pluie se mettait à tomber, avec des averses de grêle dévastatrices.

Ma fille était un miracle. Tant que tu l’as, pensais-je, c’est assez, tu as tout. Ma femme et moi nous aimions, c’était clair.

C’est une période qui, dans mon souvenir, fut paisible, même si je sais que les journées étaient en fait constituées principalement d’interrogations – qui étions-nous, qui voudrions-nous être ? C’était la première fois que Janet et moi vivions dans une ville, de manière indépendante, et presque un demi-continent nous séparait de chez nous.

En tant que soldat de troisième classe dans l’armée de l’air, j’allais à l’école de la base aérienne de Lowry de six heures du soir à minuit, pour me former à la fonction dite d’interprète photo, où j’apprenais à « lire » des photos aériennes et à repérer les signes de dommages causés par les bombardements (non nucléaires) à haute altitude. Deux ans plus tard, au Centre de commandement stratégique aérien de Travis et de Guam, j’approchai de ce que je pensais être le fin du fin, le décompte des impacts de bombes au moyen de radars de haute technologie, l’examen sur d’immenses clichés glacés des conséquences des explosions nucléaires pratiquées au-dessus d’atolls condamnés du Pacifique.

C’était comme si nous étions toujours à l’école et que nous n’avions qu’à attendre le prochain chèque de la maison, notre vie étant très éloignée de ce que l’on peut appeler la réalité. Je ne peux parler pour la femme qui fut mon épouse ; elle vit très loin, dans son propre monde. Mais à présent, j’éprouve un plaisir mêlé de tristesse à me souvenir du calme estival de Denver. Je revois Janet traverser avec la poussette la Dix-Septième Rue, pour montrer à sa fille les canards qui tournent au bord de la mare du parc avant les orages. Je ne me rappelle pas les avoir accompagnées une seule fois.

Nous perdons tous une grande partie de ce qui aurait pu être nous-même par inadvertance, quand nous inventons l’avenir. J’aurais bien envie de dire que je vois cette jeune femme et sa petite fille de façon nettement plus claire dans mon imagination, trente ans plus tard, que je ne les voyais au moment où elles étaient réelles et où, avec le défaut de la jeunesse, je regardais au-delà du moment présent. Une telle idée n’a, rétrospectivement, aucun sens, et insulte ceux que nous étions.



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